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Le Brésil 

 

« Le Brésil c'est une ambiance très détendue. Il y a un côté africain à la "on verra bien demain". Ça rend difficile beaucoup de projets d'ONG d'ailleurs. Les choses avancent lentement. Cela se ressent aussi dans l'économie. Ce pays pourrait faire mille fois mieux, s’il s’en donnait les moyens. Exemple, quand tu vas au Fast Food, ils sont cinq derrière la caisse mais seulement deux ou trois travaillent. À part ça, les gens sont sympathiques et l'ambiance agréable. Les Brésiliens sont assez ouverts d'esprit, notamment dans les grandes villes. Les droits hommes-femmes sont respectés, les gays s'embrassent librement en public… Cette ouverture d’esprit s’observe encore plus durant le Carnaval ».

 

Le football

 

« Le foot a une place importante. Beaucoup de gens jouent dans la rue, sur la plage. Quand Flamengo a remporté le championnat national, il y avait du bruit partout. Des chants, des klaxons, c’était la folie ! Les gens, hommes et femmes au passage, sont super attachés à leur équipe locale ».

 

La Coupe du Monde

 

« C’est la panique dans le pays. Beaucoup de choses ne sont pas encore prêtes, en particulier le système des transports. Globalement, la Coupe du Monde est mal accueillie. Ça arrange peu de gens. Par exemple, les taxis ne peuvent pas augmenter leurs prix, alors qu’à côté tout augmente (le ticket de métro va augmenter de 25 cents dans 10 jours). Les loyers sont très chers et beaucoup de gens sont en difficulté car les propriétaires virent des gens ou demandent des prix excessifs pendant le Mondial ».

 

Les contestations

 

« Les gens manifestent, notamment dans les favelas. Tous les Brésiliens de tous âges que je rencontre, se plaignent du système de santé ou de l’éducation. C’est simple, les enfants ont cours uniquement le matin ou l’après-midi, car l'Etat ne peut payer plus. Mais à côté, il y a des dépenses astronomiques pour construire les stades… Conclusion : la Coupe du Monde fait peur aux locaux. Les craintes sont diverses : beaucoup de monde, des touristes, des prix qui grimpent. Après, il faut savoir que les étudiants et les enfants seront en vacances pendant le mois de la compétition, et beaucoup de gens malgré tout aiment encore assez ce sport pour le fêter ».

Antoine Rousseau : « La Coupe du Monde fait peur »

 

Antoine est originaire d’Angers dans le Maine et Loire. Après l’obtention d’une Licence en Communication, il décide de partir à l’étranger. Son envie de découvrir de nouveaux horizons le fait atterrir en Amérique du Sud. Après l’Argentine, l’Uruguay, le Chili ou bien encore le Pérou, Antoine pose son sac à dos au Brésil. À un mois de la Coupe du Monde, immersion à Rio de Janeiro, entre excitation et angoisse.

Brésil : la fièvre monte

 

À quelques semaines de l’ouverture de la compétition, la tension est palpable. Si une partie de la population se prépare à accueillir avec ferveur les plus grandes nations du football, l’autre est dans la rue pour manifester son mécontentement à l’encontre de l’organisation de ce 20e Mondial.

« Le Brésil, faites un effort pendant un mois. Calmez-vous ! ». Ces mots, ce sont ceux de Michel Platini, président de l’UEFA. Preuve que les images attestant des scènes d’émeutes, en provenance du Brésil, inquiètent au plus haut sommet des institutions du ballon rond. Il faut dire que ces derniers mois, le pays des Cariocas ne fait pas parler de lui pour de bonnes raisons. Manifestations sanglantes, retards dans la construction des stades, décès sur les chantiers de la Coupe du Monde, etc. Les raisons de s’inquiéter sont nombreuses.

 

Un mort de trop…

 

Le 24 avril, Douglas Rafael Da Silva Pereira, jeune homme sans histoire de 25 ans, est tué par des policiers. Ces derniers l’ayant pris pour un trafiquant de drogue, dans une des favelas de Rio de Janeiro. S’en suivront plusieurs nuits d’émeutes dans la ville. Il faut dire que depuis quelques années déjà, les autorités locales sont particulièrement sévères à l’encontre de la population. Pour que la Coupe du Monde se passe au mieux, le Brésil a entrepris une vaste opération de « nettoyage » dans les quartiers pauvres des villes qui accueilleront la compétition. Entre expropriations et opérations coup de poing à l’encontre des trafiquants, la population est sur les nerfs.

 

Un budget indécent

 

Une des raisons des dernières émeutes réside également dans les moyens mis en place pour l’organisation du Mondial. Avec un budget avoisinant les 11 milliards d’euros, les investissements ont de quoi choquer une population dont plus de 20 % vit sous le seuil de pauvreté. Autrefois montrée en exemple par les diplomates internationaux, l’économie brésilienne tourne au ralenti depuis quelques années. Helena Hirata, chercheuse au CNRS résumait parfaitement la situation, il y a quelques jours sur le site 20minutes.fr. « Les autorités ont privilégié la Coupe du Monde à d’autres dépenses nécessaires comme la santé, l’éducation, les transports, le réseau électrique, etc. » Pour éviter un embrasement général, la sécurité va être renforcée durant le tournoi. Plus de 170 000 policiers, militaires et agents privés seront mobilisés à cette occasion.

 

Les footballeurs donnent leurs opinions

 

Au vu des débats et des soubresauts que provoque l’organisation de la Coupe du Monde, un grand nombre de sportifs brésiliens a donné son avis dans la presse. D’un côté, il y a ceux qui soutiennent et comprennent les manifestants. Parmi eux le sélectionneur auriverde Luiz Felipe Scolari, qui a déclaré d’un ton résigné : « Nous aurions pu mieux profiter de ces sept années pour organiser les choses, les aéroports, les routes, l’éducation. Nous avons perdu du temps que nous ne pourrons plus récupérer. Concernant les manifestations, je pense qu’elles peuvent avoir lieu mais sans violence. Nous sommes en démocratie. » Si les déclarations de le sélectionneur brésilien Scolari sont plutôt policées, ce n’est pas le cas de celles de Romario, ex-gloire du football brésilien et de Barcelone. Il y a tout juste un an, alors que les premières manifestations populaires avaient lieu, le champion du monde 1994 avait vertement critiqué Sepp Blatter, président de la FIFA :  « C’est un voleur, un corrompu, un fils de p… Ces gars là (les dirigeants de la FIFA, ndlr) vont être millionnaires au détriment de la Coupe du Monde au Brésil ». Avant d’ajouter : « Le coût d’un billet pour assister aux matches est presque le double au Brésil par rapport à il y a 4 ans en Afrique du sud. C’est une honte ! »

D’un autre côté, Pelé, celui que l’on surnomme « O Rei », se range plus du côté de Michel Platini. « En tant que Brésilien, je me sens désolé. Nous avons deux grandes occasions de montrer notre pays au monde avec la Coupe du Monde et les jeux Olympiques (en 2016 à Rio de Janeiro, ndlr). C'est une opportunité pour le pays de gagner de l'argent, de développer le tourisme et c'est important que les manifestations n'abîment pas tout cela ».

 

Il est clair qu’à quelques jours du match d’ouverture Brésil – Croatie, la tension est à son comble, aussi bien dans le camp des supporters, que de celui des « anti-Mondial ». Si de nouvelles manifestations sont quasiment certaines durant le mois de compétition, reste à savoir comment le Brésil va gérer cela…

« Les Brésiliens veulent la Coupe du Monde, mais pas comme elle est planifiée. »

Quels devraient être les impacts de l'événement sur

la société et le peuple brésilien ?

 

« Il existe en ce moment au Brésil un conflit entre ferveur et gestion du financement. Cela incite de nombreuses personnes à descendre dans la rue. Ces deux sentiments habitent bon nombre de Brésiliens. Je dirais même que c´est la pensée majoritaire et je la résumerais comme ceci de manière un peu simpliste : les Brésiliens veulent la Coupe du Monde, mais pas comme elle est planifiée.

La population a conscience des immenses défis économiques et sociaux, et finalement ce ne sont pas les montants qui sont critiqués, mais plutôt les différences entre des sommes astronomiques et les financements alloués au reste du pays. En particulier pour le développement et la lutte contre la pauvreté.

Ainsi, les montants de financement sont comparés aux montants alloués à l'éducation, à la santé, à l’assainissement ou à la formation professionnelle.

Mais d’après Ronaldo, "on ne fait pas la Coupe du Monde avec des hôpitaux"... La broncha populaire qui a suivi sa remarque aura suffi à le faire taire.

Enfin, toujours au niveau social, il y a un vrai problème d’inégalités des effets de la Coupe du Monde, dans un pays déjà très inégalitaire. L’événement est financé par l'impôt des Brésiliens, et la plupart n’auront pas les moyens d’assister à un match de foot ! Ils verront leurs villes surpeuplées pendant plus d’un mois et souffrirons de l’inflation du coût de la vie qui viendra avec l’événement.

On a cette ambivalence entre la ferveur sportive et la critique politique, sur fond d’élection présidentielle au mois d’octobre qui est aussi un élément très important à prendre en compte ! »

 

 

Dans ces conditions, faut-il s'attendre à une réussite ?

 

« Ce sera un succès médiatique et sportif et certains en tireront des bénéfices. Les hôtels, les agences de voyages, les restaurants, mais surtout les entreprises de construction qui ont réussi à faire gonfler les factures. Je pense que le gouvernement fera tout son possible pour éviter des manifestations au moment de l’événement. Des conflits seraient très mal vus par les autres pays, au risque de se mettre à dos une partie des électeurs brésiliens qui iraient protester, car de toute façon, sauf accident grave, Dilma Rousseff (Présidente du Brésil depuis 2011, ndlr) devrait être réélue en octobre. Pour le moment l’opposition est trop faible. »

 

Economiquement, quel est l'intérêt d'un tel événement pour le Brésil ? Quelles vont être les retombées ?

 

« C’est très compliqué. Les études sont faites sur des hypothèses. Par exemple, pour PricewaterhouseCoopers (cabinet d’audit/expertise comptable, ndlr), l’événement aura clairement des retombées positives sur l’économie brésilienne. On peut imaginer un impact à court terme positif, et surtout un impact sur le long terme très positif avec les infrastructures que les Brésiliens pourront continuer à utiliser.

Tout le monde n’est pas d’accord avec cela. Pour Moody’s, l’impact économique global serait très faible et concentré sur le mois de la compétition. A long terme, l’impact serait très faible également. La plupart des spécialistes de la question partagent cette conclusion. Soit un petit impact conjoncturel positif pendant le tournoi, mais pas vraiment d’impact structurel après celle-ci. En tout cas, il est difficile d’anticiper… »

 

Que peut-on en conclure ?

 

« Premièrement, il est un peu tôt pour savoir l’impact total. Mais une chose est sûre, beaucoup d’infrastructures auront un impact limité. Et notamment les infrastructures sportives ! C’est le premier paradoxe de la Coupe du Monde au Brésil. Deuxièmement, durant le mois de compétition, le PIB brésilien subira un coup de pouce, alors que très peu de Brésiliens travailleront. C’est le second paradoxe de cette Coupe du Monde ».

Parti au Brésil pour terminer un Master en Economie, Maël Ligaudan a vécu neuf mois au pays du football. Plus précisément à Ribeirao Prato, futur lieu d’entrainement de l’Equipe de France durant le Mondial. Rencontre avec ce Français, témoin privilégié de la société brésilienne.

Entretien - Maël Ligaudan : Economiste, diplômé de l’Université de São Paulo

 

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